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Jour 4 et 5

Je dors de plus en plus mal. Non seulement le sol dur m’oblige de dormir quasiment uniquement sur le dos, mais le froid commence à me pénétrer, inexorablement. J’ai essayé de dormir assis, sur une chaise, mais ça ne marche pas.

C’est lors d’un de ces moments où je suis assis comme cela, que je scrute le plafond. Il manque deux panneaux dans un coin. Et puis j’ai comme l’impression de distinguer une espèce de lueur dans cette ouverture. Serait-ce ce que je pense. Il ne faut pas se réjouir trop tôt. Je me recouche pour quelque temps, puis me relève, regarde à nouveau. Maintenant c’est certain. C’est un lumière qui passe par là, et ce ne peut être que la lumière du jour. Génial! Désormais je saurai s’il fait jour ou nuit, et pourrai encore mieux m’organiser.

Hier on m’a confirmé que mon consulat était prévenu, que ma famille savait où je me trouve. A ma sortie j’ai appris que c’était un mensonge. Malgré le droit international (Convention de Genève) mon représentant en Syrie n’a jamais été informé de ma situation. Mais ce mensonge-là m’a rendu service ; ça m’enlève un poids des épaules. Ma famille sait que je suis en vie ; désormais je n’ai plus qu’à m’occuper de moi-même.

1ère Résolution : Je m’interdis de penser à ma famille, sauf le soir de 8 à 9 heures.

2ème Résolution : Je ne croirai plus rien de ce qu’on va me dire

3ème Résolution : Je me lèverai et me coucherai avec le soleil

4ème Résolution : Je ne toucherai pas à mon repas du matin avant d’avoir fait de la gymnastique et marché trois kilomètres

Je me tiens scrupuleusement à ce programme ; après mes premiers 3 km, j’étudie l’Arabe pendant une heure, puis appelle le gardien pour prendre mon médicament. Dans son bureau, Nadir me confirme que mon consulat est au courant, puis m’offre une tasse de thé. Quel bonheur : Je vois le soleil qui brille, je me réchauffe avec du thé ! Avant de le boire, je prends bien soin d’y verser une quantité énorme de sucre : J’ai besoin de calories.

-          Y-a-t-il du neuf ? Quand pourrai-je sortir ?

-          Aujourd’hui !

-          Sûr ?

-          Sûr !

Tous les jours, sans exception, il va me raconter ce mensonge, mais désormais je ne le crois plus : Pourtant, je joue le jeu : Je montre ma joie, le remercie pour tout, je rayonne.

Qui manipule qui ?

Au bout d’une demi-heure on me fait réintégrer ma cellule, mais on ne m’enferme pas. Alors, pour bien jouer mon rôle de vieil homme souffrant de la prostate, je sors toutes les heures, fais signe au gardien que je dois aller aux toilettes d’urgence. Il me fait signe d’y aller. Après quelques jours, je ne demanderai plus, j’irai aux toilettes en faisant juste un signe de la main.

Ces passages aux toilettes me font du bien. L’endroit est incroyablement sale, l’odeur est nauséabonde, mais ça ne fait rien. Rien que le fait de pouvoir sortir, de ne pas me savoir enfermé à clef me procure un sentiment de liberté immense. Et puis il y a la poubelle, toujours intéressant à inspecter. Lors d’un passage il y avait un gardien en train de se laver. Quand je suis entré, il entrait justement dans la toilette pour faire ses besoins, ne m’a pas vu entrer. Alors j’en profite pour lui voler son savon, que je cours vite cacher dans ma cellule. Une autre fois je trouve dans la poubelle une bouteille vide de 2,5 litres. Je la remplis d’eau et l’emmène également. Maintenant j’ai une haltère pour mes exercices. 2 kilos et demi ne sont bien beaucoup, mais si je fais des répétitions de 100 au lieu de 10 ça devra marcher.

Dans ma cellule, je contemple mes trésors. Je suis riche! Le savon sera bien caché tout le temps, mon vol n’aura pas de conséquences.

Mais pourquoi mon consul ne vient pas me voir ? La rage me prend. Le salaud, il se fiche de moi !

Je me lève, et commence à tourner comme un loup dans sa cage.

-          Vous ne m’aurez pas, vous ne m’aurez pas! Bande de salauds, vous ne m’aurez pas. Je suis plus fort que vous.

J’ai mal aux pieds, je ne pourrai pas marcher des heures durant en chaussures cyclistes. Alors je les enlève et continue sur les chaussettes. Puis je me ravise. A ce rythme, mes chaussettes seront vite trouées, et j’en ai trop besoin pour me tenir chaud la nuit. Alors j’enlève les chaussettes également.

Désormais je marcherai pieds nus!

-          Vous ne m’aurez pas!

Tous les jours, sans exception, on me dira que je sortirai le jour même. Bien que je refus de les croire, je joue leur jeu. C’est à qui manipulera le plus. Je saute de joie, les remercie, fais semblant de ne pas voir leurs sourires moqueurs.

Puis je laisse ma rage éclater dans la cellule.

Le quatrième jour j’ai marché neuf kilomètres.

Le cinquième jour j’ai marché onze kilomètres, pieds nus.